À propos de l’athénéisme libertaire
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Publicado en la revista francesa Insurgent (MARZO 2006)
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(dédié à Concha Perez, qui nous fait partager l’enthousiasme avec lequel elle vécut les années trente au sein du Groupe Culturel Faros)
(…) En Espagne, les premiers Athénées ont leur origine dans les villes, vers le milieu du XIXè siècle, comme Centres Républicains Fédéraux, alors que se produisent les premières avancées de la révolution industrielle et que le coopérativisme -qui porte en avant les notions d’union et d’autogestion- commence son développement surtout dans les zones rurales.
Ces premiers Athénées, nés généralement d’une initiative progressiste, perdront vite leur influence et seront absorbés en grande partie par la bourgeoisie éclairée et l’Eglise catholique.
(…) Cette situation se maintiendra plus ou moins jusqu’aux premières années du XXè siècle, bien que de nouveau naitront d’autres Athénées populaires, centres républicains démocratiques ou maisons du peuple, qui garderont une forte implantation populaire durant les premières décades de ce XXè siècle. Avec le temps, ils se transformeront en de véritables universités populaires qui engendreront un état d’esprit critique et analytique.
Au début du XXè siècle fut créée l’Ecole Moderne qui se répandit dans tout le territoire espagnol et en particulier à Valencia et en Catalogne. Mais son existence fut brève à cause des persécutions gouvernementales et écclesiastiques qui aboutirent à sa fermeture définitive en 1906, à la suite de l’attentat manqué de Mateo Morral le jour du mariage de Alfonse XIII et des fausses accusations désignant Ferre y Guardia comme instigateur de la Semaine tragique de Barcelone et le menant devant le peloton d’exécution au fort de Monjuich le 13 octobre 1909. Sans aucun doute, le germe et l’esprit de l’Ecole Moderne, sa pédagogie et sa méthodologie, avaient pénétré dans les consciences libres et dans l’anarchisme, car peu à peu se constituèrent de nouveau des Ecoles rationalistes qui avec le temps se convertirent en véritables embryons des Athénées libertaires. En 1917 Juan Rogé Rodo tenait dans la rue Alcoléa (quartier de Sants) l’Ecole Rationaliste « La Luz » que nous pouvons considérer comme le premier Athénée libertaire en Espagne. L’année suivante ce sera Puig Elias qui montera dans le quartier du Clot de Barcelone, et grâce à l’appui du syndicat local du textile, l’ «Escuela racionalista La Farigola» qui deviendra l’Athénée libertaire du Clot. Mais ce sera avec l’arrivée de la IIè République et de ses libertés, qu’une nouvelle dynamique viendra animer les jeunes générations. Les anarchistes décideront alors de quitter les vieux athénées populaires pour créer les nouveaux athénées libertaires, parfois camouflés en associations culturelles, telle par exemple « la Asociación Cultural Faros », sans doute plus connue comme Athénée libertaire Faros. Chaque quartier des grandes villes et chaque village reçut son Athénée libertaire. Il suffisait d’un petit local où pouvoir se réunir et au moins monter les sections d’Excursionnisme (qui organisaient les sorties collectives à la campagne ou à la plage) et la section Théâtre (qui assurait des représentations à thèmes sociaux) ; s’y donnaient aussi des conférences et des débats directement en rapport avec la vie ou la connaissance du corps féminin alors tabou pour les femmes elles-mêmes. Mais cette génération des années trente à Barcelone et autres villes ne s’en tenait plus aux mots d’ordre des générations antérieures de l’anarchosyndicalisme, surtout à partir du Congrès régional de Sants de la CNT en 1918 qui se dirigeait vers la construction d’une « Société parallèle ». Elle était imprégnée de cette idée que Garcia Oliver définit comme la « gymnastique révolutionnaire » : considérant la révolution comme possible, elle s’y préparait, et les Jeunesses libertaires eurent ainsi une grande influence dans les Athénées libertaires. Tous les Athénées libertaires qui à ce moment comptaient sur une affiliation de 60 à 120 associés durent se subdiviser en groupes spécifiques qui comptaient au maximum une douzaine de camarades chacun, « Sacco y Vanzetti », « Primero de mayo » (Athénée Faros), etc. Mais je crois surtout important de souligner que dans ces Athénées libertaires de la période républicaine se produisit pour la première fois le contact direct de la femme avec les idées de l’anarchisme, chose qui ne pouvait pas se développer facilement dans la majorité des syndicats anarchosyndicalistes ; il faut aussi signaler naturellement dans ce contexte le travail important de revues libertaires comme Etudes, Initiales, Ethique, Hygiène, Humanité nouvelle, etc. Il suffit de jeter un œil à la presse ouvrière de l’époque –années 30- comme « Tierra y Libertad », « Fragua social » et surtout « Solidaridad Obrera » pour s’assurer qu’une bonne partie de la vie interne des Athénées conduisait ses affiliés vers une connaissance accrue de la vie et de la culture et qu’ils la vivaient passionnément. Dans l’ensemble de cette société républicaine et même durant le régime dictatorial antérieur, à quelques exceptions près, le travail de ces athénées, ne l’oublions pas, en a fait aussi de véritables universités populaires ; ces athénées, chacun avec ses particularités seront dénommés Athénée Rationaliste, Libertaire, Républicain, Populaire, Encyclopédique, Polytechnique ou Maison du Peuple, etc… Sur la voie de cette consolidation, il ne fait aucun doute que les Athénées constituèrent une part extrêmement importante de la pensée critique du pays. De cette manière, non seulement ils se transformèrent peu à peu en tribunes de la culture populaire, mais ils servirent aussi de plateforme à l’action politique dans un pays déchiré. En se substituant à l’Etat comme éducateur du peuple (de façon conjointe aux syndicats anarchosyndicalistes de la CNT et à quelques groupes républicains), ils transformèrent l’ouvrier en autodidacte critique, capable de faire face au fascisme durant trois ans. A lire les mémoires du général Mola dans « Lo que yo supe » -qui traite de la période durant laquelle Mola fut Directeur général de la Sécurité durant la dictature de Primo de Rivera- on comprend parfaitement contre qui se souleva l’armée les 17 et 18 juillet 1936 en Afrique. La raison en est la connaissance que le peuple était en train d’acquérir ; cette connaissance de tous les concepts fondamentaux de la vie donna une capacité et une facilité de compréhension et de raisonnement aux hommes et femmes du milieu ouvrier, et ce savoir avait été acquis en grande part dans les Athénées convertis comme nous l’avons dit auparavant en universités populaires. Sans aucun doute se forgeait la capacité de gérer une nouvelle société. Et cela, ni les militaires ni le clergé ne pouvaient le tolérer.
Les Athénées de la période républicaine n’eurent guère le temps de se développer, il leur fallut fonctionner dans une période agitée, leurs militants furent constamment inquiétés, persécutés, incarcérés ; par exemple l’emblématique Athénée Faros dont nous avons parlé auparavant vit, durant cette période (1931/1936) ses locaux fermés 4 ou 5 fois. Puis vint la longue nuit du franquisme durant laquelle l’imagination fut comprimée, brisée, lapidée, où tous les Athénées mentionnés plus haut virent leurs locaux fermés, leurs militants persécutés ou assassinés, leurs modestes biens détruits et une bonne partie de leurs bibliothèques brûlée. La terreur dessécha le terrain des idées, et la peur s’empara des nouvelles générations. Ce temps-là parut éternel. Une fois rétablie la démocratie en Espagne en 1976, le destin des Athénées ne fut pas très différent de ce qu’il avait été sous le franquisme. Nous voyons ainsi comment les politiciens s’empressèrent d’installer le nouveau système démocratique, mais rejetèrent dès le départ l’idée d’appuyer et de rétablir ces forums de débat et de culture populaire qu’étaient les Athénées, les Centres républicains et tout autant les Maisons du peuple socialiste que connut la République. Face à cette situation, la charge reposa sur les épaules de jeunes habitants des quartiers populaires et de jeunes anarchistes, qui créèrent des Athénées populaires comme libertaires, mais devant l’incompréhension d’une société manipulée par les médias et terriblement matérialiste, ceux-ci manquèrent vite de l’espoir et de l’énergie avec lesquels ils avaient été reconstitués. De plus, dans le cas des Athénées libertaires se posa le problème de l’appartenance de leurs affiliés au syndicat CNT, et, une fois passée l’effervescence des premières années de liberté démocratique, la dépendance de l’athénée au syndicat eut pour effet d’y reproduire les conflits internes à la centrale anarchosyndicaliste, au point que dans les années 80 seuls subsistèrent quelques noyaux athénéistes sur tout le territoire espagnol.
Il est donc important de signaler qu’en 1976 et dans les années suivantes, les nouvelles institutions décidèrent que le vieux modèle associatif républicain de coopératives, athénées et forums n’était désormais plus valide. Elles discréditèrent avec tous leurs moyens cette part de l’initiative populaire qui avait eu tant de poids durant la période républicaine et qui à présent était niée et ignorée, et ne permirent pas aux Athénées de récupérer leur patrimoine exproprié. Le pas suivant sera de vider de leur contenu une bonne partie des associations d’habitants. Et ainsi commence le processus de domestication civique et culturelle qui, en Catalogne, passe par la construction des Centres Civiques. Avec le temps, ils se sont transformés presque tous en maisons (parkings) pour les vieux ou les enfants, et ne diffusent tout au plus qu’une culture du divertissement et du folklore. Et tout ceci soigneusement contrôlé et dirigé depuis les institutions (…) Concernant les Athénées libertaires d’aujourd’hui, squats pour la plupart, nous voyons qu’ils ont leur propre philosophie de vie. Et s’ils ne se qualifient pas ouvertement de libertaires, leur rébellion les dénoncent comme héritiers d’un référent historique qu’ils peuvent rejeter ou méconnaître mais qu’ils devront tôt ou tard découvrir. Croire en l’an 2006 à l’athénéisme implique de comprendre et de récupérer la pensée d’un homme comme, par exemple, Antonio Machado quand celui-ci déclara, au II° Congrés national des Ecrivains Antifascistes qui se déroula en 1937 dans diverses villes d’Espagne : « Pour nous, défendre et diffuser la culture est la même chose : accroître dans le monde le trésor humain de la conscience qui veille ».
Manel AISA Pàmpols,
Ateneu Enciclopedic Popular.